MODÈLE PHILOLOGIQUE
Or, ce qui relie encore ces deux traditions qui sont en concurrence jusqu’à la fin du 20e siècle, c’est la soi-disant stabilité du modèle philologique.
« [...] la philologie faisait l’hypothèse, depuis le début de XIXe siècle, de l’unité constitutive d’une langue, d’une littérature et d’une culture – ou plutôt d’une civilisation, comme on disait alors –, ensemble organique identifié à l’esprit d’une nation, et ensemble dont la littérature, entre les racines linguistiques et les frondaisons culturelles, fournissait le noble tronc. D’où l’éminence prolongée des études littéraires, voie royale vers la compréhension d’une culture dans sa totalité. »
Antoine Compagnon, La littérature, pour quoi faire ?, Leçon inaugurale prononcée au 30 novembre 2006
Voici comment modeliser la série de relations de cause à effet sous-entendues dans le modèle philologique:
Le présupposé de la tradition philologique qui s’étale de Proust à Barthes, ou de Mallarmé à Italo Calvino ou à Compagnon, consiste à donner un privilège, une suprématie à la littérature.
Pour Proust de la Recherche « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ». De même pour Roland Barthes qui, 60 ans plus tard, assigne à la littérature une fonction utopique permettant à l’homme de réaliser sa propre liberté hors de la langue. Ou pour Italo Calvino qui dit en 1982 avoir de la confiance en l’avenir de la littérature « parce qu’il y a des choses que seule la littérature peut offrir par ses moyens propres ». Aussi Antoine Compagnon s’y inscrit-il en 2006, sans pour autant ignorer et interroger les mutations récentes qui ne cessent d’alterner, de diminuer le champ littéraire au sein de la culture contemporaine. C’est qu’avec la fin des utopies avant-gardes, l’autonomie de la littérature disparaît, c’est ce qui explique la liquidation du modèle philologique et un amoindrissement de la culture littéraire conséquemment à la présence massive d’autres représentations culturelles, dont entre autres les images fixes et mobiles.
Mais avant de se poser la question de savoir La littérature, pour quoi faire ? (2006) avec Compagnon, ou s’interroger sur La Littérature en péril (2006) avec Tzvetan Todorov, ou encore de déplier un constat similaire sur la crise de la littéraure avec Contre Saint Proust ou la fin de la littérature (2006) avec Dominique Maingueneau, il faudrait envisager les présupposés du modèle philologique pour révéler ce qui donne la vitalité du modèle toujours en vigueur dans les études littéraires. Pour ce faire, nous étudions les « forces » ou les « pouvoirs » de la littérature, tels qu’ils sont relevés dans deux leçons inaugurales tenues au sein de la même institution, Le Collège de France : celle de Roland Barthes en 1977, et celle d’ Antoine Compagnon – son disciple – en 2006.