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HISTOIRE VS. THÉORIE

« Le xxe siècle a commencé par les transgressions de la littérature par les avant-gardes, et il s'est terminé sur la dissolution des limites de la littérature par la postmodernité. » (Antoine Compagnon, Qu’est-ce qu’un auteur ?, http://www.fabula.org/compagnon/auteur1.php)

Fluctuante au cours de l’histoire, la littérature, telle qu’elle se donne aujourd’hui à l’étude, se réclame d’un champ culturel particulièrement complexe dont l’approche n’est plus envisageable avec seulement des stratégies de lecture classiques et modernes. S’il faut concevoir d’autres stratégies, méthodes et connaissances venues d’autres domaines des sciences humaines et sociales pour l’étude de la littérature, c’est parce qu’elle a à se redéfinir conséquemment à des mutations culturelles et sociaux des dernières décennies qui ont poussé nombre de théoriciens, philosophes et penseurs à crier à la crise des Humanités (disciplines traitant des langues et de la littérature anciennes; Études classiques, littéraires, philosophiques). S’interroger sur les méthodes et perspectives à adopter dans les études littéraires ne paraît donc légitime que dans la mesure où l’on cherche à tenir compte du changement de paradigme remettant en cause le privilège et la place que la littérature a toujours occupée à l’intérieur du champ social.

Voici la raison pourquoi étendre l’étude intrinsèque du fait littéraire (déchiffrages linguistique, connotatif et argumentatif du texte littéraire) vers une approche extrinsèque censée embrasser des domaines multidisciplinaires en vue d’une saisie plus appropriée du champ hétérogène auquel la littérature se trouve d’emblée connecté.

Les deux traditions qui ne cessent d’alterner depuis le 19e siècle dans les études littéraires : la tradition historique et la tradition théorique, chacune donne sa propre définition à la littrérature. La tradition théorique – appelée aussi poétique (l'étude de l'art littéraire en tant que création verbale) ou rhétorique (théorie de la parole efficace liée à une pratique oratoire) – considère la littérature comme « une et même, présence immédiate, valeur éternelle et universelle », alors que la tradition historique « envisage l’œuvre comme autre, dans la distance de son temps et de son lieu ».

Ces deux définitions sous-entendent deux approches critiques, l’une « intrinsèque », sensible à la matière langagière, l’autre « extrinsèque », portée vers les « ailleurs » de la littérature. Pour reformuler cette dichotomie, il est possible de considérer la première comme une approche « synchronique », faisant appel à l’étude « immanente » du texte, alors que la deuxième, soulignant l’aspect « diachronique » de l’ œuvre, basée sur une « transcendance » fondatrice du texte. Mais, au fond, il ne s’agit que de reconduire l’opposition entre d’un côté la poétique et la rhétorique et de l’autre l’histoire littéraire, la philologie.

La poétique et la rhétorique interrogent la littérature dans sa généralité pour y observer et en déduire des règles normatives et des lois : genres (classification typologique des œuvres, qui se distingue du style et du registre et se réfère à un ensemble traditionnel de caractéristiques matérielles, formelles et finales), figures (procédé d’expression qui s’écarte de l’usage ordinaire de la langue, l’une des caractéristiques des textes qualifiés de « littéraires »), imitation (mimèsis). C’est aussi le présupposé que de bien de disciplines littéraires dont la narratologie structuraliste ou la sémiologie assument dans la ligée du structuralisme pour s’interroger sur la littérarité (ce qui fait d'une œuvre donnée une œuvre littéraire) du texte.

L’histoire littéraire (discipline qui étudie l'évolution de la littérature à la lumière des courants littéraires et des relations entre littérature et histoire), la philologie ( l'étude des documents écrits à rétablir le contenu original de textes) étudient les œuvres en ce qu’elles appartiennent à leur auteur, à un mouvement, à une école les expliquant par leur contexte. On y reconnaît le partage (tant critiqué par Marcel Proust) que Sainte-Beuve (Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), critique littéraire positiviste, établit entre les « deux moi », le moi social et le moi créateur, qui s’inscrit quant à lui dans la mouvance de l’idéalisme allemend du 19e siècle.


« La littérature, disait Sainte-Beuve, n’est pas pour moi distinct ou, du moins séparable du reste de l’homme et de l’organisation…La fameuse méthode […] consiste à ne pas séparer l’homme et l’ œuvre, à considérer qu’il n’est pas indéfférent pour juger l’auteur d’un livre […] à s’entourer de tous les renseignements possibles sur un écrivain, à collationner ses correspondances, à interroger les hommes qui l’ont connu […]. cette méthode méconnaît […]qu'un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestions dans nos habitudes… »

Marcel Proust , Contre Sainte-Beuve, Gallimard, 1954, 126-127