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ABJECTION

Le cadre théorique d’une sémiotique analytique ainsi mis en place, les ouvrages ultérieurs, tout d’abord Pouvoirs de l’horreur. Essai sur l’abjection (1980), étudient à partir des « discours et des comportements « limites » (borderlines) » les modalités possibles du passage du sémiotique au symbolique. Kristeva ne cesse d’insister sur le rôle que la sublimation artistique joue dans l’intégration de ce qui est par définition « jeté à côté du possible, du tolérable, du pensable », car abject. L’abjection (révolte de l’être contre ce qui le menace) tire le sujet « vers là où le sens s’effondre ». L’abject (cadavre, souillure, dégoût alimentaire) signale « la fragilité de la loi » que la société (ou sur un plan individuel le Surmoi) instaure.

Tout « ce qui ne respecte pas les limites, les places, les règles » vient perturber l’identité et l’ordre constitué. On voit la portée sociologique et morale de ce registre de « l’entre-deux » sur lequel s’élève toute notre culture judéo-chrétienne. L’abjection est « immorale » et non pas « amorale » d’une révolte libératrice. C’est « une terreur qui se dissimule, une haine qui sourit », c’est « Auschwitz ». Mettant à l’épreuve « les pouvoirs de l’horreur » chez des auteurs de la « grande littérature » – Bataille, Dostoïevski, Lautréamont, Proust, Artaud, Kafka et Céline – Kristeva nous apprend ceci : « si l’on imagine l’expérience du manque lui-même comme logiquement préalable à l’être et à l’objet – à l’être de l’objet –, alors on comprend que son seul signifié est l’abjection, et à plus forte raison l’abjection de soi. Son signifiant étant ... la littérature. » (p. 13) La littérature ne résiste pas, au contraire, elle dévoile l’abjection par « la Crise du Verbe ».