L’AFFICHE PUBLICITAIRE
C’est dans Rhétorique de l’image (1964) que Barthes expose le problème théorique que toute sémiologie rencontre visant à traduire l’image, cette communication par analogie par excellence. Il y des linguistes qui considèrent l’analogie comme un sens « pauvre » et prennent l’image pour un sytème rudimentaire par rapport à la langue. Selon d’autres, « la signification » n’épuise point la richesse archaïque de l’image. Le paradoxe que la sémiologie rencontre c’est le présupposé d’un « code analogique », alors que l’analogie (iconicité) résiste à la double articulation et au combinatoire des unités digitales en œuvre dans la langue. C’est dans cette ligne de pensée qu’il est tendance de rappeler qu’avec le tournant iconique le traitement de l’information passe majoritairement par des images au détriment de la langue. D’où aussi l’amoindrissement dans notre culture de la capacité analytique de l’homme, laquelle est nécessaire, voire essentielle pour la lecture et la cognition.
L’image publicitaire « Panzani » laisse dégager trois messages :
1) le message linguistique
- de dénotation (légende, étiquettes; code : le français)
- de connotation (renvoyant à « l’italianité »)
2) le message iconique codé, symbolique → connoté
3) le message iconique sans code, message littéral → dénoté.
Barthes souligne le caractère utopique de la dénotation : on ne rencontre jamais une image dénotée à l’état pur. Cette absence du code (résultant de l’analogie parfaite de la photographie) contribue à corroborer le mythe du naturel : comme s’il existait une opposition entre le code culturel et et le non-code naturel. Si cette opposition se veut pourtant efficace, c’est parce qu’elle traduit la spécificité de la photographie en ce qu’elle désigne une véritable « révolution anthropologique » dans l’histoire de l’homme.
« [...] le type de conscience qu’elle implique est véritablement sans précédant ; la photographie installe en effet, non pas une conscience de l’être-là de la chose (que toute copie pourrait provoquer), mais une conscience de l’avoir-été-là. »
Roland Barthes, « Rhétorique de l’image »,
L’Obvie et l’obtus. Essais critiques III, Ed. du Seuil, 1982, 35
La photo crée une nouvelle catégorie d’espace-temps – « locale immédiate et temporelle antérieure » – ce qui produit « une conjonction illogique entre l’ici et l’autrefois ». C’est par cette rencontre inédite que le paradoxe de l’« irréalité réelle de la photographie » peut avoir lieu. L’avoir-été-la de la photographie anticipe effet sur le caractère indiciel de la photo, aspect qu’il développera dans La Chambre claire. Cette anticipation lui permet de marquer un subtile déplacement vers la pragmatique de l’image photographique.
Exercice
Etudiez les deux séries qui se laissent repérer à la suite des dichotomies relatives aux deux modes de fonctionnement de la photographie. Où situer l’irréalité réelle soit le non-sens dont la photo est tributaire ?
Pour revenir au dilemme esquissé au début à savoir à la question de comment concevoir un code analogique, Barthes fait appel à la rhétorique et nomme « connotateurs » les signifiants de connotation pour affirmer que la rhétorique est « la face signifiante de l’idéologie ». Ces connotateurs constituent des « traits discontinus », « erratiques » que la dénotation vient à naturaliser. Autrement dit : « l’image dénotée naturalise le message symbolique, elle innocente l’artifice sémantique, très dense [...] de la connotation. »
L’analyse de l’affiche Panzani reste dans son langage liée à la problématique du mythe, mais s’invente aussi des positions à partir desquelles le déplacement vers une pragmatique de l’image est déjà envisageable.