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« TOURNANT SPATIAL »

S’interroger sur l’espace, ou encore sur l’espace et la littérature, n’est point l’invention de notre contemporanéité qui appelle « tournant spatial » le regain d’intérêt que l’espace connaît ces dernières décennies dans le domaine des sciences humaines et des études littéraires. Il est dans l’habitude de constater qu’à partir des années 60 – parallèlement au changement de paradigme postmoderne revendiquant un décentrement et une multiplicité de points de vue – la perception de l’espace change, et par ce changement elle se fait plus sensible, plus complexe.

Evident de prime abord, l’espace est au contraire un « objet culturel » dont l’appréhension implique des présupposés d’ordre épistémologique, voire scientifique. Sans doute les considérations en physique et mathématiques sur l’espace-temps non-euclidien ou encore celles en neuropsychologie sur l’énaction (cognition vivante censées exprimer l’action jamais entièrement prévisible et dynamique du fonctionnement cérébral) concourent-elles de nos jours à promouvoir une perception nouvelle du monde, et, partant, offrent-elles une conception inédite de l’espace devenu du coup un milieu instable voué aux dynamiques apparemment aléatoires. Les dynamismes culturels travaillant notre société contemporaine ne se laissent penser que grâce à ce modèle.

Plusieurs recherches théoriques, philosophiques ont précédé cet essor théorique portant sur l’espace, dont l’apparition dans les années 1990 de la géocritique. Confrontée au concept foucaldien d’épistémè (façon de penser, de parler, de se représenter le monde à l’intétrieur d’une période), de géophilosophie (penser non plus par le sujet et l’objet, mais par l’espace) ou de rhizome de Gilles Deleuze et de Félix Guattari, de sémiosphère de Youri Lotman (espace dans lequel se trouve prise toute la culture, marqué par deux divisions : l’une sépare l’intérieur de l’extérieur, l’autre le centre de la périphérie), ou de topo-analyse (étude psychologique systématique des sites de notre vie intime) de Gaston Bachelard censée déstabiliser « la dialectique du dehors et du dedans » (p. 194) dans La poétique de l’espace (1957), de polyphonie de Mikhail Baktine susceptible de virer la ligne (la linéarité chronologique) vers une logique multilinéaire, la géocritique – grâce à l’équipe de recherche de l’Université de Limogès – vient à réunir ces éléments paradigmatiques en vue de poser les fondements d’une analyse critique de l’espace en tant « système en déséquilibre ».

Ainsi, la géocritique serait une manière d’appréhender la littérature comme lieu d’inscription de l’espace imaginaire dans la perspective des présupposés théoriques. Elle a l’ambition d’accueillir tous les discours portant sur l’espace hétérogène pour y introduire une étude polycentrée et interdisciplinaire où la géographie rime avec l’architecture, l’urbainsme avec la littéraure exigeant désormais des compétences dès lors inexistantes dans les études littéraires.

Avant de passer en revue les catégories opérationnelles dont La Géocritique. Réel, fiction, espace (2007) fait l’exposition à la recherche d’un fondement théorique et méthodologique, étudions de plus près quelques textes fondateurs dans l’étude de l’espace.