LA CONNOTATION
Selon l’hypothèse de Barthes, le message photographique est lui-aussi connoté. Barthes emprunte à Louis Hjelmslev (1899-1965, linguiste structuraliste danois dans la prolongation de Saussure)la notion de connotation, qui désigne une signification seconde par rapport à une signification primaire, appelée dénotation. La connotation joue un rôle stratégique dans le développement des études textuelles en ce qu’elle est ce qui assure la plurivocité du texte, s’articulant par là-même aux concepts d’intertextualité et de productivité. Aussi le mythe s’édifant à partir d’« une chaîne sémiologique qui existe avant lui » est-il « un système sémiologique second » : un système connoté (« Le mythe, aujourd’hui », p. 199).
« On se rappelle que tout système de signification comporte un plan d’expression (E) et un plan de contenu (C) et que la signification coïncide avec la relation (R) des deux plans : E R C. On supposera maintenant qu’un tel système ERC devienne à son tour le simple élément d’un second système, qui lui sera de la sorte extensif ; on aura ainsi affaire à deux systèmes de signification imbriqués l’un dans l’autre, mais aussi décrochés l’un par rapport à l’autre. Cependant le « décrochage » des deux systèmes peut se faire de deux façons entièrement différentes, selon le point d’insertion du premier système dans le second, donnant lieu ainsi à deux ensembles opposés. Dans le premier cas, le premier système (E R C) devient le plan d’expression ou signifiant du second système:
ou encore : (E R C) R C. C’est le cas de ce que Hjelmslev appelle la sémiotique connotative ; le premier système constitue alors le plan de dénotation et le second système (extensif au premier) le plan de connotation. On dira donc qu’un est système connoté est un système dont le plan d’expression est constitué lui-même par un système de signification ; les cas courants de connotation seront évidemment constitués par les systèmes complexes dont le langage articulé forme le premier système (c’est, par exemple, le cas de la littérature). Dans le second cas (opposé) de décrochage, le premier système (E R C) devient, non le plan d’expression, comme dans la connotation, mais le plan de contenu ou signifié du second système:
ou encore : E R (E R C). C’est le cas de tous les méta-langages : un méta-langage est un système dont le plan du contenu est constitué lui-même par un système de signification ; ou encore, c’est une sémiotique qui traite d’une sémiotique. Telles sont les deux voies d’amplification des systèmes doubles »
Roland Barthes, « Eléments de sémiologie » OC II, p. 695-696
Quant à la connotation, elle ne se laisse pas saisir immédiatement, ni dans le cas du mythe, ni dans le cas de l’image. Certains procédés (truquage, pose, objets, photogénie, esthétisme, syntaxe) favorisent la mise en place de ce code qui n’est ni artificiel, ni naturel, mais toujours culturel (historique).
Exercice
Cherchez d’autres exemples pour illustrer les procédés connotatifs !
A lire une photographie, il faudrait donc reconnaître plusieurs types de connotations – perceptive, cognitive, idéologique, éthique, politique – qui peuvent échapper à la prise, tout comme dans le cas du mythe. Barthes se demande à ce propos si une « pure dénotation, un en-deçà du langage soit impossible ? », et pour y répondre, il s’interroge de nouveau sur un sujet déjà explicité dans Mythologies : le trauma et la photo-choc.
[...] le trauma, c’est précisément ce qui suspend le langage et bloque la signification. [ ...] Les photographies proprement traumatiques sont rares, car en photographie, le trauma est entièrement tributaire de la certitude que la scène a réellement eu lieu : il fallait que le photographe fût là (c’est la définition mythique de la dénotation) ; mais ceci posé (qui, à vrai dire, est déjà une connotation), la photographie traumatique (incendies, naufrages, catastrophes, morts violentes, saisis « sur le vif ») est celle ce dont il n’y a rien à dire : la photo-choc est par structure insignifiante [...] On pourrait imaginer une sorte de loi : plus le tauma est direct, plus la connotation est difficile ; ou encore : l’effet « mythologique » d’une photographie est inversement proportionnel à son effet traumatique. »
Roland Barthes, « Le message photographique », L’Obvie et l’obtus. Essais critiques III, Ed. du Seuil, 1982, 22
Exercice
Comparez ce passage avec ce que Barthes dit sur la photo-choc dans Mythologies !
A l’échelle de la société, la fonction de la connotation comme « signification bien structurée » est d’intégrer et de « rassurer » l’homme.
« [...] nous avons peut-être mieux à faire qu’à recenser directement les contenus idéologiques de notre temps ; car en essayant de reconstituer dans sa structure spécifique le code de connotation d’une communication aussi large que la photographie de presse, nous pouvons espérer retrouver, dans leur finesse même, les formes dont notre société use pour se rasséréner, et par là même saisir la mesure, les détours et la fonction profonde de cet effort : perspective d’autant plus attachante, comme on l’a dit au début, qu’en ce qui concerne la photographie, elle se développe sous la forme d’un paradoxe : celui qui fait d’un objet inerte un langage et qui transforme l’inculture d’un art « mécanique » dans la plus sociale des institutions. »
Roland Barthes, « Le message photographique », », L’Obvie et l’obtus. Essais critiques III, Ed. du Seuil, 1982, 24
A l’étude de ce passage, on comprend pourquoi Barthes se dissocie de la typologisation stérile au profit de l’étude des formes de l’intégration sociale.