DE L’ŒUVRE AU TEXTE
Dans les études littéraires, la période post-sturcturaliste, favorable à l’ouverture et au décentrement des faits sociaux et culturels, provoque un subtile déplacement de l’œuvre vers le texte. Le changement de paradigme que ce déplacement met en place est en partie dû au tournant « iconique » que la massification des images dans la société de consommation avait engendré. Il paraît que la notion de texte se propose d’opérer ce changement pour premettre aux études littéraires, toujours enfermées dans leur modèle philologique, de donner des réponses plus appropriées, selon de nouvelles sensibilités d’analyse interdisciplinaire.
Ce que Deleuze et Guattari mettent en scène avec le concept de rhizome, Roland Barthes et Julia Kristeva formulent dans le domaine des études littéraires avec le texte. C’est dans l’article de l’Encyclopaedia Universalis (cf. OC, IV, pp. 443-459 ; acessible en ligne sur http://asl.univ-montp3.fr/e41slym/Barthes_THEORIE_DU_TEXTE.pdf) que Barthes esquisse la « théorie du texte » qui embrasse les résultats de la théorisation kristévienne, et dont les prémisses sont déjà exposées dans « De l’œuvre au texte » de Barthes en 1971.
Dans son acception classique le texte repose sur le signe considéré dans son unité close, et dont la fermeture arrête, coupe, voire empêche que le sens « tremble », « divague ». Le signifiant s’y trouve donc comme « rivé » à son signifié ne permettant que deux types d’opérations : la « restitution » du signifiant (philologie) et « l’interprétation » du signifié (herméneutique). C’est le présupposé du texte classique : « la littérarité du texte se trouve dépositaire de son origine, de son intention et d’un sens canonique qu’il s’agit de maintenir ou de retrouver » (OC, IV, 444). L’arbitraire du signe a comme corollaire la métaphysique de la vérité.
Fiche récapitulaitve
Il existe au autre type de texte, qui va à l’encontre de celui que Barthes appelle dans S/Z (1970) « lisible », c’est le texte « scriptible », celui qui se laisse écrire en lisant (« c’est nous en train d’écrire »).
Pour que la « mutation épistémologique » puisse avoir lieu, censée dynamiser le modèle statique de la première sémiotique littéraire (pour qui le texte est « l’englobant formel des phénomènes linguistiques » à un travail « positiviste » « immanent » et « objectif »), il faut attendre que les acquis de la sémiotique et de la linguistique soient détruits et reconstruits dans un nouveau champ de référence (grâce aussi à la sémiotique de Peirce) qu’offrent en l’occurrence le marxisme et la psychanalyse. En effet : « pour qu’il y ait science nouvelle [...] il faut qu’il y ait rencontre d’épistémés différentes » – soit du marxisme, du structuralisme et du freudisme – « et que cette rencontre produise un objet nouveau » (p. 446) : le texte.
Ce qui caractérise cette mutation c’est qu’elle met en crise toute énonciation, y compris la sienne propre. Cela veut dire que, désormais, le langage qui n’était qu’un pur instrument devient objet de méfiance. Lyotard parle d’« une incrédulité à l’égard des métarécits » (Lyotard, 1979, 7) qui ont pour fonction de légitimer le savoir.
C’est à partir de la définition kristévienne du texte compris comme un « appareil translinguistique » se connectant sur des énoncés antérieurs ou synchroniques que Barthes dégage un réseau de caractéristiques pour établir l’opposition avec l’œuvre.
Ces termes constituent un tissu indécomposable et se mettent dans une série de complications et d’implications avec l’idée sous-entendue que le sens n’est point donné mais produit dans un processus interminable entre le producteur, le récepteur et le texte. C’est grâce à la lecture kristévienne du dialogisme de Bakhtine que la notion d’intertextualité entre en jeu pour devenir un concept-clé de la théorie du texte.